ROGER CAILLOIS: À la recherche de l'homme des molécules aux astres
« Et pourtant,
nous savons tous que toute pensée profonde reste en partie secrète, faute de
mots pour l’exprimer, et que toute chose nous demeure en partie cachée »
Marguerite Yourcenar
Dans l’incontournable biographie de Roger Caillois (Reims,
1913-Paris 1978) intitulé « L’homme qui aimait les pierres » que
Marguerite Yourcenar dit elle-même esquisser, nous parcourons, fascinés, la
recherche que Caillois fait avec un esprit autant inlassable comme sure de soi,
de l’essence humaine, en la découvrant dans les pierres.
Tout a long de sa vie, depuis sa rencontre avec Robert Deumal
et le petit groupe qui s’organise comme une espèce de société secrète de connaissance dans le lycée de Reims et sa
première approche aux livres qui traceront la route qu’il suivra plus tard, il
maintient la « rigueur de sa pensé », il examina, rejette, élimine ce
que n’est pas vrai a ses sentiments, son intuition ou sa raison. Il se rapproche
au surréalisme, à Georges Bataille particulièrement, pour un court période de
temps. La poésie surréaliste l’attire mais tôt « son obstiné rigueur »
le fait sentir « la différence entre le fantastique d’ordre littéraire,
toujours si proche du factice et du fabriqué, et l’étrange ou l’inexpliqué
véritables ».
Plus tard, cette même rigueur qui l’ai fait distinguer entre
la sincérité et la vérité, le fait refuser ce qu’on pourrait appeler « les
sciences dogmatiques », pour paradoxal que tel appellation pourrait
sembler, mais que sert à définir toute science « passant de la recherche
désintéresse du vrai a l’obtuse assertion d’un dogme ». C’est ce qui lui
arrive par rapport au freudisme et au marxisme. Dans le première cas ses
critiques, même sévères, sont loin d’être une condamnation totale. Après avoir
exprimé son opposition à l’utilisation des mythes pour certain « freudisme
intégral », il considère néanmoins, que c’est la psychanalyse « la
seule théorie qu’a jeté les bases d’une politique valable de l’imagination
affective, et qu’il reste surtout pour las notions de complexe et pour avoir
mis sur pied une réalité psychologique profonde, que dans le cas spécial des
Mythes, pourrait avoir à jouer un rôle fondamental ».
Concernant le marxisme ses objections sont dues « moins
à une doctrine que s’est inévitablement située à un moment de la sociologie et
de l’histoire et dont les résultats sont incommensurables, mais a sa position
présente de dogme monolithique ». Et ici Caillois affirme avec
lucidité : « Chaque système est vrai pour ce qu’il propose et faux
pour ce qu’il exclut »
A chaque halte dans son parcours Caillois s’approche au
centre même d’une révélation où il trouvera la synthèse de tout ce qu’il a
cherché depuis le début : la vérité cachée dans les pierres.
Le pas suivant est la production d’un chef d’œuvre : Les Jeux et les Hommes. Sans s’arrêter pour analyser le magnifique
bâtiment du jeu qu’il construit, « comme un temple a quatre
colonnades » et qu’il nos présente sous ses quatre faces, auxquelles il
donne les noms de L’Agon, L’Alea, La Mimicry et L’Illinx, lisons les
réflexions de Yourcenar par rapport à chacune de ces « colonnades » :
« L’homme qui écrira Bellone ou la
pente de la guerre sait combien le jeu se confond avec le combat ;
l’auteur de Méduse et Cie sait que le
gout de l’ivresse ou celui du déguisement nous est commun avec d’autres espèces
animales. Le sociologue qu’écrivait L’Homme
et le Sacré, n’ignore pas que tout jeu comporte un rite. La différence
entre le jeu et les activités utiles de l’existence, si importante au départ,
semble parfois tomber d’elle-même. Dans Cases
d’un échiquier, « le jeu d’échecs et l’humble jeu de l’oie deviennent
le symbole d’on ne se quoi qu’englobe et dépasse toute vie » (…) le jouer
« ébloui ou illuminé, essaie
d’entendre, parfois d’étendre les règles d’un jeu ou il n’a pas demandé de prendre
part et qu’il ne lui est pas permis
d’abandonner » Et finalement dit Yourcenar : « Si Caillois
n’était pas en garde contre toute métaphysique, on trouverait dans ce passage
(..) « une image de la vie telle que l’ont vue certains philosophes
hindous, comme un jeu qui nos manipule pour des raisons et à des fins
inconnues, ou plutôt sans raisons et sans but, une lila divine »
Arrivant à cette étape, rappelons-nous que Caillois a
longtemps considéré la logique comme l’arme absolue de la raison humaine. Dans L’incertitude qui vient des rêves, Caillois
se sert de l’onirique pour reposer l’éternelle question : Comment
distinguons-nous entre la vie diurne, supposé réelle, et la inane vie nocturne
des songes ? Cette question est pour Caillois intimement liée à la raison,
parce que, au dépit de ce que nous tendons à croire, c’est-à-dire, que la vie
diurne a une logique de causes et d’effets que le rêve n’a pas, cette certitude
nous rassure contre l’angoisse de songer que la vie que nous tenons pour réelle
pourrait aussi ne s’agir que d’un songe. C’est donc dans cette frontière
diffuse qui se mélangent la raison et l’absurdité associées à la réalité ou au
rêve. N’oublions pas qu’a un certain moment de sa carrière, Caillois a pris
pour lui la légende que Goya a placée sous l’un de ses dessins : « Le
sommeil de la raison produit des monstres ».